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Réalisations livre & scène

Transmettre la mémoire sur plusieurs modes…


Paradoxalement, mon goût pour l’écriture biographique s’est d’abord exprimé dans le spectacle vivant, sur scène. Je dévoile ici quelques réalisations : biographie sous la forme assez classique du livre, mais aussi sous des formes théâtrales.
Par nature, chaque texte biographique est singulier. Il est teinté de la voix de la personne qui se raconte et chargé des événements de sa vie, extraits :
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Les traversées d'Annick

Biographie de A. (2025), extrait :
« Trois ou quatre fois dans l’été, nous organisions une expédition à la mer en petit groupe : ma mère et moi, une de mes sœurs ou une voisine et un autre enfant. Il nous fallait partir de la maison tôt le matin pour aller à pied à la gare, ce qui représentait un peu plus de deux kilomètres. (…)
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    Là, nous prenions de vieux trains en bois qui devaient rouler pendant au moins une heure et demie pour nous emmener à Saint-Malo en faisant une halte à chaque gare sur le trajet. Mais, arrivés à destination, il fallait encore parcourir à pied un chemin d’un kilomètre et demi depuis la gare, avant de rejoindre la plage. Et alors, notre journée se passait au soleil, dans la mer et dans le sable.
    « Annick, tu nages comme un chien de plomb ! » m’avait lancé le camarade qui nous accompagnait ce jour-là… Je devais avoir sept ou huit ans et je n’avais pas aimé !
    Le soir, au retour, le soleil qui avait tapé toute la journée sur les wagons rendait l’air irrespirable. Non seulement nous étions pleins de coups de soleil, mais il faisait chaud comme pas possible ! Alors, les gosses, nous montions nous percher dans les porte-bagages en bois, mais nos corps étaient toujours chauds, si chauds… À l’arrivée, il fallait refaire les deux kilomètres à pied vers la maison. Épuisée, je comptais le nombre des lampadaires allumés qui m’aidaient à évaluer la distance et à prévoir où nous allions devoir tourner : encore trois lampadaires, encore deux… puis ce sera l’école, encore un… J’étais crevée.
    C’était chouette Saint-Malo, mais heureusement qu’on n’y allait pas tout le temps !

    Chez ma sœur Y***, il y avait B***. Son véritable prénom, c’était A***, comme celui du mari d’Y***, alors, on avait choisi ce diminutif pour les différencier. C’était un petit orphelin, un neveu de mon oncle A*** qu’ils avaient recueilli et qu’ils élevaient comme leur fils. C’était presque mon neveu. Il faisait partie de la petite troupe qui nous accompagnait parfois à Saint-Malo ou dans les autres virées. Toute l’année, je passais beaucoup de temps à jouer avec B*** qui n’avait que six ans de plus que moi, c’est avec lui que j’allais dans les champs, que je me balançais dans les arbres, que je faisais nos tournées dans la campagne autour de chez nous. On trouvait alors à côté de chez ma sœur de grandes citernes à ciel ouvert, les restes d’anciens blockhaus qui avaient été abîmés pendant la guerre. Cela ressemblait à de grandes cuves en béton remplies d’eau, formant des piscines énormes où des grenouilles avaient élu domicile. Là, nous passions du temps ensemble à pêcher des grenouilles ou à chercher des hannetons que l’on trouvait en quantité chaque été. Pour cela, nous devions faire tout un tas d’acrobaties assez périlleuses, en équilibre sur les rebords en béton qui surplombaient l’eau, sans bien avoir conscience du danger que cela aurait pu représenter.

    Une année, en mars ou avril, nous nous sommes rendus à Saint-Malo au pardon des Terre-Neuvas. On faisait une bénédiction religieuse des marins qui allaient partir dans leurs chalutiers pour pêcher la morue à Terre-Neuve. Ça donnait lieu à un rassemblement. À cette occasion, il avait été possible de visiter ces gros bateaux. J’avais été très impressionnée de descendre dans les cales où l’on voyait les carrées où les marins allaient dormir. Un peu plus loin, on accédait même aux grosses machines qui sentaient la mécanique et l’essence. Je crois bien que B*** était là aussi.

    Lorsque nous devions nous éloigner de Rennes, nous avions la possibilité d’utiliser des permis qui nous donnaient le droit de prendre le train gratuitement, ou à des réductions de vingt pour cent sur les billets. Nous conservions cet avantage hérité de la profession de mon père, mais dans la réalité nous ne l’utilisions quasiment jamais, dans la mesure où nos moyens ne nous auraient pas permis de payer l’hôtel à notre destination. Cependant, ma mère avait gardé des amitiés à Laval, où mes parents avaient habité avant ma naissance. C’est ainsi que nous prenions parfois le train pour rendre visite au père et à la mère Le***. Ce grand bonhomme tout mince, autrefois un collègue de mon père dans les chemins de fer, élevait un certain nombre de lapins dans ses clapiers. Aux commissures de ses lèvres, le tabac qu’il chiquait avait fini par laisser une trace permanente d’une teinte marron. Quant à la mère Le***, c’était un petit bout de femme plutôt boulotte, à la poitrine énorme, dont le physique contrastait absolument avec celui de son mari. Son tabac, elle le prisait. Lorsque nous les retrouvions pour les Angevines, la foire annuelle de Laval, je me rendais avec ma mère sur les bords de la Mayenne, où se déployaient les stands et les manèges. Là, nous retrouvions une certaine madame Q*** qui était aussi restée une amie de ma mère. Habillée tout de noir, coiffée d’un chignon blanc dans le cou, la mère Q*** produisait des galettes, des galettes et des galettes, qu’elle vendait sur son petit stand des Angevines. À Rennes aussi, ma mère avait l’habitude d’acheter des galettes à des femmes qui les avaient préparées par kilos le jeudi. On les servait le vendredi, qui était jour maigre, garnies de fromage et d’un œuf.

    Je n’ai dû porter qu’une ou deux fois le costume breton pendant toute mon enfance, comme à la fête du patronage des filles de Saint-Hélier. C’est rigolo, mais on ne se sentait pas du tout Bretons. On m’a dit que mon père avait entendu parler le breton chez ses parents, mais aussi qu’il n’avait jamais eu le droit de le parler, il fallait qu’il parle le français. D’ailleurs, plutôt que le breton, l’Ille-et-Vilaine a surtout parlé gallo, la langue romane de la marche de Bretagne. Voilà pourquoi je suis très surprise de ce renouveau de la culture bretonne, n’ayant pas du tout connu cela dans ma jeunesse. Les jeunes de ma famille ont eu l’occasion de participer à des fest-noz, ce qui n’existait vraiment pas pour moi. À présent, je trouve étonnant de voir tous les noms de rues écrits en breton lorsque je retourne à Rennes. Bien que Bretonne, je ne suis pas une inconditionnelle de la libération de la Bretagne. (…) »
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Le corps vécu

Biographie de E. (2024), extrait :
« Cela faisait vingt ans que je n’habitais plus à Barcelone. Je devais à présent y retourner pour partager entre frères et sœurs les affaires qui se trouvaient dans l’appartement de nos parents. Nous étions en 2000, l’heure de la succession était venue (…)
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    Pour faire le trajet, j’avais pris un car de nuit bien pratique qui partait de Perrache à vingt et une heures. Je suis arrivée à cinq heures du matin, j’ai complété ma nuit pendant quelques heures chez ma sœur, puis j’ai rejoint les autres à l’appartement. Du vivant de mes parents, ça avait été le point de ralliement familial, un lieu de vie effervescent où ma mère recevait beaucoup, où nous avions si souvent mangé ensemble le midi. Dans cet appartement, nous avions tous vécu et grandi, une époque après l’autre. Peu à peu, nous en étions tous partis pour faire nos vies. Se retrouver là, juste nous, les dix frères et sœurs sans nos conjoints, sans nos parents, ça a été un moment très fort. Lorsque l’on s’occupe des choses matérielles, la boîte aux émotions s’ouvre de nouveau sur les événements de l’enfance. Nous avons partagé les peintures, les meubles, les lots d’objets qui avaient été estimés, nous avons exploré les recoins. Tout en haut d’une étagère, je suis retombée sur des bocaux de plantes séchées, d’herbes pour la toux. Elles dataient d’avant mon départ et personne n’y avait touché : j’étais la seule à me soigner de cette façon. Je n’ai pas pris grand-chose pour moi, nous n’avions pas d’espace et nous habitions à six cents kilomètres. Mes frères et sœurs possédaient de beaux appartements, les objets seraient mieux chez eux.
    Chacun se fait une image de sa famille, chacun attribue un rôle aux autres. Mes frères avaient de moi l’image d’une personne décidée, qui savait ce qu’elle voulait, celle de la petite sœur rebelle de leur jeunesse. Au contraire, pendant ces deux jours je me suis souvent effondrée, dépassée par le tumulte, ce qui les surprit. Depuis longtemps, j’étais partie vivre au loin, j’avais entrepris un travail sur moi-même, je m’étais détachée du quotidien familial. À cette occasion, je leur offrais un autre visage, mais les liens de cœur, eux, étaient intacts.

    Évidemment, mon père avait tout parfaitement préparé avec le notaire. Soucieux de protéger sa sœur photographe, il avait racheté à son père les parts d’un immeuble dont nous allions hériter. Au rez-de-chaussée il y avait toujours l’atelier photographique, dans les étages les appartements nous revenaient, quoique certains aient encore été à disposition de notre tante par usufruit. L’appartement dont j’ai hérité était dans son jus depuis les années soixante. Il était occupé par un homme qui le louait pour une somme ridicule. N’ayant pas de projet immédiat, je lui ai laissé le temps qu’il lui faudrait pour partir, ce qui lui prit trois ans, mais cela ne me gênait pas.

    Cette année-là, la succession nous donna les moyens de voyager cinq semaines aux États-Unis avec nos fils, alors âgés de trois et six ans. Il se trouve qu’un ami de D., qui avait fait avec lui des compétitions de ski alpin pendant l’adolescence, était parti chasser le saumon aux USA. C’était P., le parrain de M., un être assez extraordinaire, créatif, doté d’un grand sens de l’éthique, qui a su développer de nombreuses activités ; actuellement il sillonne le globe sur un bateau. Il habitait alors à Seattle, où il proposait de nous recevoir en juillet-août et il nous accueillit avec beaucoup de générosité. La grande ville, la nature de l’Oregon, les festivals dans les réserves indiennes… Ce séjour fut une belle aventure familiale, source de nombreux souvenirs. (…) »

*

Depuis de nombreuses années, je m’intéresse à la manière de transmettre la mémoire par le spectacle vivant, notamment en utilisant le genre du théâtre musical chanté. J’ai exploré des formes, plus ou moins scénarisées, plus ou moins dialoguées. Je vous présente ici trois spectacles dont j’ai écrit le texte et qui ont été joués par moi ou par d’autres — et dans ce cas, j'en signais aussi la mise en scène.

Neuf vies d’une femme libre

Évocation lyrique - Théâtre musical
Cécile De Boever, soprano (chant et jeu) - Florian Caroubi, (piano et jeu).
Texte et mise en scène, Jean-Noël Poggiali - création lumière : Amélie Verjat - régie lumière : Marie Vuylsteker. Un spectacle de la compagnie
Délyriades.

Évoquer l’aïeule et, fatalement, se retrouver face à soi-même. Voilà ce qui m’a intéressé lorsque Cécile De Boever s’est adressée à moi pour bâtir un spectacle musical qui pourrait retracer la vie de sa grand-mère. Dès qu’elle a commencé à me raconter la longue vie de cette femme, j’ai été happé. Très vite, j’ai perçu qu’il s’agirait plutôt de tracer le destin familial des femmes de cette famille, sur quatre générations, d’en relever les correspondances, d’en suggérer les non-dits et évidemment de rendre hommage au courage inouï et à la personnalité de cette grand-mère.
Ce spectacle est dialogué, il a pour cadre l’appartement de la grand-mère disparue. La chanteuse et le pianiste y font une dernière visite, retombent sur des objets, se replongent dans les souvenirs.
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    — Extrait 1 —

    La chanteuse :
    (…) Reprenons à Alice, mon arrière-grand-mère, qui arrive de Petrograd à Madagascar en 1912. J’ai vu ses lettres par là. (cherchant dans la valise) Elle écrit à son père.
    (lisant la lettre, en désordre, au pianiste qui s’est assis dans le fauteuil ) « J’ai 19 ans, je dois songer à mon avenir, il est temps, or je ne veux pas rester gouvernante et pour avoir une autre situation il faut le temps, la facilité de travailler, les moyens de le faire. Je veux passer mon brevet supérieur et apprendre la musique, ce qui a toujours été le plus grand de mes désirs ». « Je voudrais aller à Madagascar et te demande la permission de me laisser aller,… »
    « Tu me sauras heureuse, très heureuse, au lieu de me savoir chez des étrangers. (…) Dis-moi oui ou non, catégoriquement, parce que cet état d’incertitude est exaspérant pour moi. Ne te fâche pas surtout, tôt ou tard cela devait arriver et tu devais bien y penser n’est-ce pas ? »

    Le pianiste, amusé :
    Une chipie, cette Alice… elle sait y faire !

    La chanteuse :
    Elle rejoint à Madagascar sa propre mère, remariée à un lieutenant de Gallieni. On appelait cette installation d’Européens, après la conquête de Madagascar, « la pacification »… c’est habile, non, pour parler d’une opération militaire au long cours ?


    (…)

    — Extrait 2 —

    Chanté :
    La rose et le réséda, mélodie de Georges Auric
    sur le poème de Louis Aragon.

    La chanteuse :
    Elle était agent de liaison, Réseau Goélette, immatriculée à Londres au grade fictif de sous-lieutenant. C’était un réseau de renseignement qui recevait et envoyait beaucoup de données sensibles. Elle décodait les messages et faisait passer des documents, de l’information, un peu de matériel. En public, il fallait faire bonne impression, être discret, sur ses gardes, principalement dans les trains où il y avait de nombreux contrôles. Les agents devaient ruser : éviter les fouilles, ne pas avoir l’air suspect ou même simplement sortir du lot.

    Le pianiste :
    À leur place, est-ce que je l’aurais fait ? Je veux dire : au risque de la prison ou même de ma vie, est-ce que je l’aurais fait ? Quand passe-t-on à l’acte ? Quel est le déclic ? Toi, tu l’aurais fait ?
    À quel moment n’est-il plus possible de continuer sans agir, quelles qu’en soient les conséquences ? Le contexte c’était quand même l’occupation, la surveillance, les dénonciations !
    (ironique) Avec la Liberté et l’Égalité, le mot Fraternité avait même disparu de la devise de l’État vichyste : « Tracas, Famine, Patrouille » !

    La chanteuse :
    Il y avait les réseaux clandestins. C’était dangereux, mais ça permettait de se sentir plus forts, de résister ensemble.

    Le pianiste, comme en écho :
    Tout seul on ne peut rien…

    La chanteuse :
    Leur réseau a été arrêté à Vichy sur dénonciation, lors d’une réunion secrète dans le consulat du Portugal, inoccupé.

    Le pianiste :
    Comment sais-tu tout cela ? Elle vous en parlait ?

    La chanteuse :
    À mots pudiques, tout en retenue, mais sans jamais se défausser… – un temps, elle se remémore.

    À 26 ans, elle crachait ses dents.
    Ils lui ont fait cracher ses dents, par terre, à coups de poings. À chaque fois qu’ils cognaient, elle lâchait quelque chose, mais une information qu’ils avaient déjà. Elle laissait entendre qu’elle en savait plus. Elle gagnait du temps, question de survie… et ça recommençait.
    Ils l’ont tous frappée : la police française, la Gestapo, la milice… Des jours et des jours. Des semaines.
    Pour faire tomber les dents, celles du fond, des deux côtés, il faut frapper fort.

    Le pianiste :
    C’est ignoble

    La chanteuse :
    C’est la guerre… elle nous a raconté bien pire. Et elle a tu des choses aussi : les mots sont impuissants à décrire l’horreur. À sa sortie, elle ne pèsera plus que 36 kilos.

    Elle reste enfermée quatre mois à la prison des Brosses, dans l’eau, la crasse, la vermine.
    Elle est emprisonnée et elle est veuve : Joseph, arrêté, a été exécuté par la milice peu de temps avant ; leur mariage aura duré 6 mois.

    Chanté :
    Extrait de The Fairy Queen
    « O let me weep » (The plaint) - Henry Purcell

    (…)

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    Au moment de la création, un court métrage a été tourné, comme une sorte de « bonus » qui n’est pas un extrait du spectacle, mais qui en reprend les thématiques et le fil. Nous trouvions ça plus intéressant que de dévoiler le spectacle qui prend son sens sur un plateau, devant un public.

    Court métrage réalisé par Joran Juvin. Avec Cécile de Boever (chant et jeu), Fabrice Boulanger (piano). Texte et scénario : Jean-Noël Poggiali. Un spectacle de la compagnie Délyriades.

Promenons-nous dans les bois

Théâtre musical
Avec Anne-Catherine Vinay, clavecin - Laurène Durantel, contrebasse - Fabrice Boulanger, piano et composition - Jean-Noël Poggiali, texte, chant et jeu - lumières, Vincent Millet - mise en scène, Chantal Galiana. Commande de la Ville de Saint-Claude (39) pour sa saison culturelle 2011-2012 . Un spectacle de la compagnie Délyriades.

Pour écrire ce spectacle, j’ai pris appui sur la mémoire familiale qui m’a été transmise par mon grand-père, Gino. Je me suis efforcé de tracer le portrait de l’homme que j’ai connu, cueilleur de champignons à l’œil acéré, peintre en bâtiment chantant, boule de nerf plein d’humour… et de son Italie natale. Le répertoire musical, interprété au fil de cette évocation, décline la thématique mycologique et botanique, qui se fait métaphore de la vie des hommes. Ce spectacle est émaillé de vignettes sonores où la voix de ma grand-mère témoigne de périodes clefs : l’arrivée en France de la famille italienne, immigrée pour fuir le fascisme ; la rencontre amoureuse de mes grands-parents pendant la guerre, dans un petit bal clandestin ; leur mariage qui télescopait la rafle de Pâques, orchestrée par Klaus Barbie… Il est aussi l’occasion d’évoquer Giovanni, cet arrière-grand-père qui est mort avant que je naisse. Pour l’occasion, plusieurs mélodies ont été écrites par Fabrice Boulanger qui a aussi réarrangé tout le répertoire pour clavecin, piano et contrebasse.

Le texte est un monologue qui s’articule avec des pièces musicales jouées et chantées et avec des interventions de Solange en voix off.
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    (…)


    Lorsque j'étais enfant, je traînais les pieds pour aller aux champignons. J'avais pourtant un petit panier en osier et un joli couteau pliant au manche blanc nacré. Quand on ouvrait le panier, il grinçait légèrement. Je ne sais pas si ma mauvaise vue en était la cause, mais je ne voyais rien d'extraordinaire parmi les feuilles mortes des sous-bois ni dans l'herbe des prés. Et, si, miraculeusement, je découvrais quelque chose, c'était invariablement une russule toute rouge, un vieux coprin chevelu ou des vesses-de-loup que, du moins, je pouvais faire exploser d'un coup de pied.
    Le Gino, lui, même quand il conduisait sa voiture... il repérait les places à morilles. Il fallait alors avoir de bons réflexes, car il appuyait simultanément sur le frein et l’accélérateur en s’écriant : « là ! il y en a, là il y en a... je vais revenir ».

    9e morceau chanté
    Chanson à manger
    Charles Lemaire (1669)

    (…)

    Le 9 avril 1944, jour de Pâques, Gino et Solange devaient se marier à Saint-Claude. Mais c'est justement le jour où les nazis donnèrent l'ordre à tous les hommes de la ville de se regrouper sur la place du Pré pour un contrôle d'identité. Le Gino qui était aux Trois maisons, juste au-dessus de la ville, avait été prévenu par la résistance que c'était un guet-apens. Il est resté chez lui, a repoussé son mariage d'une semaine, et a sauvé sa peau.
    Le 10 avril 1944, le lendemain de la rafle de Pâques, 307 déportés partaient dans des wagons à bestiaux pour Buchenwald et Dora.
    À Génissiat aussi, tous les hommes de plus de dix-huit ans ont reçu l’ordre de se regrouper. René, le plus jeune frère de Gino a eu la mauvaise idée d’aller dire au revoir à ses copains. Il n’avait que seize ans, mais c’était un grand gaillard. Les Allemands n’ont jamais cru qu’il était si jeune : ils l’ont embarqué avec les autres et déporté dans le camp de Mauthausen.
    Il est revenu en France après la guerre, mais il est mort presque aussitôt. De lui je ne connais qu’un beau portrait...

    18e morceau chanté
    D'une prison – Raynaldo Hahn (1892)
    sur un poème de PaulVerlaine

  • Écouter Solange

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    En préparant l'écriture de ce spectacle, j'avais enregistré ma grand mère, Solange, que tout le monde appelait « la Sol ». Chantal Galiana, qui allait mettre en scène le spectacle, m'a incité à intégrer quelques courts extraits en voix off. En voici deux d'entre eux.
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Monsieur Satie, fantaisie ou folie ?

Théâtre musical
Avec Anne Constantin, soprano (chant et jeu), Françoise Galais, mezzo-soprano (chant et jeu), Fabrice Boulanger (piano, chant et jeu), Jean-Noël Poggiali (chant et jeu). Texte de Jean-Noël Poggiali, d’après la correspondance d’Erik Satie. Sur une idée de Françoise Galais. Un spectacle produit par ARDEV.

Ce spectacle musical nous plonge dans la vie fantasque et borderline d’Erik Satie et nous fait retrouver, en sa compagnie, de nombreux protagonistes de l’époque (Jean Cocteau, Georges Auric, Francis Poulenc, Paulette Darty, Jeane Bathori, Pierre Bertin…). Il est l’occasion de mêler aux situations représentées des mélodies, des chansons et des pièces instrumentales de Satie, de même que de savoureux extraits de textes tirés de « l’Esprit musical », du même Satie. Je me suis plu à dialoguer les scènes de ce spectacle en me fondant dans le style de la riche correspondance de ces personnages historiques, qui a été conservée et éditée.
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    Scène 2
    dans le salon de Paulette Darty
    Paulette

    Pendant le monologue, Paulette arrange son intérieur : elle dispose un drapé et une brassée de fleurs sur le piano…

    Paulette Darty
    : (pour elle-même) Et ce cher Monsieur Satie qui n’est toujours pas arrivé… Je vais bientôt en concevoir de l’inquiétude. Doit-il venir en droite ligne de son domicile d’Arcueil – à pied comme de coutume – ou bien sera-t-il passé auparavant rendre ses habituelles visites aux cabarets de Montmartre… l’Auberge du Clou… ou le Chat noir ? (Soudainement) Lui ai-je bien envoyé la somme qu’il sollicitait ? (Réfléchissant) Oui ! Dame, comment est-il possible qu’à son âge un homme si talentueux et si spirituel se débatte encore dans de perpétuelles difficultés financières ? Mais son heure viendra ; par chance il est très entouré, malgré sa tendance aux fâcheries…
    Il m’a écrit qu’il serait accompagné et qu’il voulait m’en faire la surprise. Peut-être est-ce la personne en question qui l’aura retardé,… oui, sans doute…
    (Entendant les visiteurs) Ah, justement !

    Satie, Jane, Paulette

    Satie entre avec Jane Bathori, en tenant son parapluie sous sa redingote.

    Satie
    : Ma Bonne Dame ! Je vous présente Jane Bathori, connue du tout Paris ; une fort gentille amie.
    Paulette Darty
    : Très honorée et ravie de vous recevoir. Savez vous, Madame, que je garde un souvenir bien vif et ému de cette soirée où vous chantâtes Asie, la mélodie du Schéhérazade que Ravel écrivit pour vous ?
    Jane Bathori
    : Je vous remercie Madame, mais moi-même je suis flattée de pénétrer le salon de la fameuse « Reine des Valses lentes » dont Monsieur Satie nous parle tant.
    Paulette Darty
    : Ah ! Monsieur Satie ! (à Jane) Veuillez prendre vos aises… (à Satie) Cher ami, habituellement, vous passez plus tôt…
    Satie
    : C’est que j’arrive du « Patronage Laïque », qui vient de donner sa grande matinée artistique annuelle. Figurez-vous qu’ils reconnaissent avoir eu un bénéfice de onze francs quarante-cinq centimes. Quelle veste !
    Paulette Darty : L’année dernière il me semble que nous eûmes — si j’ose dire — deux cents francs de bénéfice…
    Satie
    : Grâce à vous, chère Divette, grâce à vous.
    Paulette Darty
    : Oh… mais votre musique n’y était pas étrangère, Monsieur ! À ce propos, nous avez-vous apporté quelques nouvelles pages de votre main ?
    Satie
    : En effet, et je ne connais encore ces feuillets que par la bouche de mon humble plume. Les chanterez-vous ?
    Paulette Darty
    : De bonne grâce ! Ma chère, s’il vous plaît de lire la première…
    Jane Bathori
    : (lisant le titre) Elle vous est dédicacée Madame Darty et c’est une valse lente, d’ailleurs, qui a pour titre « Je te veux »…
    Paulette Darty
    : (avec une certaine excitation) Je l’écoute !

    Chanté (Jane)
    « Je te veux »
    sur un texte de Henry Pacory


    (…)

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